Une fable moderne

Published on by Etienne

Vous connaissez sûrement le jeu animé par Arthur sur TF1 "A prendre ou à laisser", plus connu sous le nom "le jeu des boîtes"!.
En arrivant ici il y a 5 mois, quelle ne fût pas ma (désagréable) surprise de tomber sur "Deal or no deal", la version anglaise de ce jeu que je trouvais d'une inutilité absolue. En plus sur Channel 4, le présentateur a une coupe de cheveux ringarde et des chemises qu'il a dû voler à son père. Je me suis dit que ça devait être le standard anglais... allez savoir.

dealornodeal.jpgNoel Edmunds, présentateur de Deal or no deal

Ce programme est diffusé à 16h, l'heure où je termine mon quotidien sandwich grillé jambon/fromage (je précise qu'il ne s'agit ni de jambon ni de fromage, mais en tout cas c'est comme ça qu'ils appelent un résidu de viande gluante et un pavé de texture molle jaune). Ainsi, aux premiers temps de mon séjour anglo-saxon, dès que l'émission commencait je levait le camp et remontait dans ma chambre pour ne pas subir ces "imbécilités" comme dirait un monsieur moustachu qui porte une aversion pour TF1 aussi profonde que cette chaîne en a pour l'intelligence.
Et puis au fil du temps, inconsciemment je suis resté un peu plus souvent au lieu de monter dans ma chambre. Parfois parce que je mangeais plus tard ou alors parce que je n'avais pas envie de revenir dans mes 6m².
Sans pour autant avoir développé un attachement à ce jeu télévisé, j'en ai découvert les raisons de son succès, en tout cas ici. Je ne sais pas s'il l'a connu en France.
Comment rendre attractif un jeu dont le concept est on ne peut plus creux et vide de sens ? Et dire que c'est le métier de gens sur-payés...

Ils sont 22 candidats et chaque jour l'un d'eux est tiré au sort pour tenter sa chance dans la grande ronde des boîtes. Il est seul face aux 21 boîtes et doit, au hasard, les désigner les unes après les autres. L'objectif est d'éliminer les plus petites sommes, les montants des boîtes allant de 1 pence à £250 000.
Le travail des producteurs a été de donner un rythme et du suspens à ce programme. Mais pas seulement. Comme tout bon jeu télévisé populaire, pour que ça marche il faut de... l'é...mo...tion...nel! Je suis sûr que vous aviez trouvé.
Ainsi, quand le chanceux candidat du jour est tiré au sort, il rejoint le centre du plateau, sa boîte rouge dans les main, sur laquelle il a posé des photos de sa famille ou un objet qui lui tient à coeur.
Aujourd'hui, notre cher candidat Mark avait ammené une photo de son frère, sa mère et lui, quand il était enfant. Il verse une petite larme en expliquant que sa mère est morte en 1996 après une longue bataille contre le cancer et que c'était une merveilleuse femme. C'est l'exemple de ce soir, mais c'est la majorité du temps la même chose.
Tout cela m'amène à vous dire que je regarde plus souvent qu'auparavant ce programme.

Et j'en viens à la raison pour laquelle j'écris cet article. Pardonnez mes entrées en matières souvent longues, mais vous connaissez mon penchant pour l'écriture...!
Ce bon Mark est arrivé à un moment du jeu où tous les candidats rêvent d'être. Il lui restait en effet les trois sommes les plus élevées : £75 000, £100 000 et £250 000, et d'autres moins grandes. Le banquier lui propose un deal à £18 000. Et voilà le coeur de cette émission : que feriez-vous si on vous donnait le choix entre 20 000€ acquis pour sûr ou un potentiel 300 000€ ? Votre réponse dépendra certainement de votre besoin en argent. Si vous êtes au chômage, que votre femme vous a quitté, que vos enfants ont changé de nom, que votre propriétaire vous poursuit en justice, que vous supportez le PSG, alors évidemment vous refuserez l'offre du banquier et vous tenterez de décrocher les 300 000€.
Aujourd'hui, Mark a été le premier candidat que je vois à être dans cette situation mais aussi à accepter le deal à £18 000. Il a été raisonnable. Personne n'est aussi raisonnable dans ce jeu.
Ce qui m'a surpris et même un peu choqué a été la réaction du présentateur et des autres candidats quand Mark a accepté l'offre et a donc mis fin à ses possibilités de gagner le jack-pot. Ils ont été surpris comme l'est une fille de Neuilly lorsqu'en rentrant chez elle après une nuit en boîte de nuit à 800€ elle croise un clochard qui cherche à manger dans une poubelle. Le présentateur n'a alors cessé de répéter "J'espère que ce ne sera pas le pire jour de votre vie."
Il faut en effet continuer le jeu pour que le candidat désigne d'autres boîtes dans l'ordre où il l'aurait fait s'il n'avait pas déjà accepté l'offre du banquier. Ainsi il peut savoir s'il a pris la bonne décision ou non.
Ces mots du présentateur m'ont vraiment choqué. L'argent est-il à ce point au centre de toutes les préoccupations pour que son gain soit l'objet de telles paroles ? Certes c'est un jeu d'argent et ce présentateur souhaite à ses candidats de repartir avec la plus grosse somme possible, mais ce pauvre gars a choisi de prendre ces 20 000 € et on le lui reproche. Il était le seul à réaliser que c'est déjà une sacrée somme. Alors évidemment quand à côté de ça on flirt avec la centaine de milliers d'euros, 20 000 ça semble ridicule.

aprendreoualaisser.jpgArthur reviendra au printemps 2010 sur TF1 pour relancer "A prendre ou à laisser"


Plus généralement, ce jeu est une fable moderne. L'argent au coeur de notre vie. On ne conçoit plus le bonheur sans argent. C'est fascinant de voir la joie ou la tristesse relative au gain ou à la perte d'argent dans ce jeu. Evidemment ils sont là pour gagner le plus possible. Mais tout ça n'est qu'un triste reflet de la manière dont se comporte notre société. Elle nous fait rêver des sommes qu'on aura jamais, des voitures qu'on ne pourra pas se payer, des maisons qui nous endetteront, des métiers qui nous sous-paieront, des crèmes qui nous rajeuniront, des jeux qui nous illusionneront, tout ceci est une machine à rêve. Et Noel Edmonds, présentateur du programme, le dit lui-même "Welcome in the dream factory" ("Bienvenue dans l'usine à rêve"). Mais alors un rêve est-il fait pour se réaliser où n'est-il qu'une illusion qu'on entretient sans jamais l'atteindre ? On regarde la lune et on oublie qu'on a une planète sous nos pied.

Ce jeu ne me dérange pas, il m'inquiète.
Ces candidats me rendent triste, parce qu'ils le sont.
Regarder ces hommes et ces femmes tous tournés et agenouillés vers l'argent est une sensation étrange.
On est au Casino, Royaume où personne ne se contente de ce qu'il a.
Rentrez chez vous et prenez conscience de votre corps, de votre âme, du monde qui vous entoure, de ce que vous avez et ce que vous souhaiteriez, et alors là seulement posez-vous la question : "Ai-je besoin d'argent ?".
Certains des candidats en ont vraiment besoin et cette émission est une opportunité formidable. Payer des vacances à sa famille pour la première fois, Mark en rêvait et Deal or no deal l'a fait.
Alors voilà ce qu'est cette émission : une balancoire avec d'un côté la réussite et de l'autre l'illusion.

Je vous laisse avec un extrait d'une des émissions, gagnera, gagnera pas ? Vous allez voir qu'au stade où en est la candidate, les deux boîtes qu'elle n'a pas encore ouverte sont £3 000 et £250 000. Le banquier lui fait une offre que vous le verrez, elle refusera. Le présentateur lui demande alors si elle veut échanger sa boîte avec l'autre encore restante en jeu et elle refusera en expliquant que le "6" est la date de naissance de son père qui est la personne la plus importante à ses yeux. Il ne lui reste plus qu'a espérer que sa boîte contienne les £250 000.
Regardez : Laura Pearce in Deal Or No Deal



"L'argent est le fumier dans lequel pousse l'humanité de demain. Le terreau nécessaire aux grands travaux qui facilitent l'existence."
Emile Zola, L'argent

Published on Ma vie anglaise

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Comment on this post
M
<br /> ça me rappelle de nombreux souvenirs: Nadine, Lydia et moi avec nos trois polaires, notre couverture de survie, une pleine assiette de crumpets au nutella, la télé avec "ready, steady, cook" ou<br /> encore des chiffres et des lettres version british. Ceci étant, nous n'avosn jamais réitéré l'expérience "deal or not deal", une fois suffit...<br /> <br /> <br />
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R
<br /> Peut-être qu'il y a quelque chose qui ne colle pas entre capacités intellectuelles et appat du gros gain.<br /> <br /> <br />
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R
<br /> Il fût un temps où les sommes gagnées dans les jeux télévisés étaient ridicules comparées aux sommes actuelles. Et je n'ai que 33 ans, ce n'est pas si lointain. Je me souviens d'un jeu que je<br /> regardais enfant, le vainqueur gagnait quelques cadeaux, éventuellement un voyage, et le je se terminait avec le pactol, que l'on gagnait si l'on avait vraiment de la chance (une fois sur 10<br /> peut-être): 50 000 Francs (7600 euros). Même enfant je comprenais la valeur d'une telle somme, à peu près le prix d'une petite voiture à l'époque.<br /> <br /> Je pense que les sommes indécentes sont apparues avec "le Millionnaire", le jeu où l'on tournait la roue, gain entre 100 000 et 1 million de francs (environ £100 000). Et c'est aussi le premier jeu<br /> dans lequel on pouvait être déçu de la somme gagnée, sentiment vraiment ignoble. Et encore, le candidat n'avait aucune décision à prendre, aucun 'deal', juste le fruit du hasard, donc<br /> moins d'implication dans le processus. Et même la plus petite somme de 100 000 F était conséquente (bien que 10 fois inférieure au million).<br /> <br /> Deal or No Deal, ça va vraiment loin dans l'ignoble, en plus le 'deal' en question reste un deal dans son principe, mais les conditions sont aberrantes, déloyales, c'est de la perversité, car<br /> bien que le candidat soit en position de gagner de l'argent, il est dans tous les cas en position d'humiliation, le deal en question est une insulte à sa condition d'être humain. Même s'il<br /> gagne gros, il en sort rabaissé.   <br /> <br /> <br />
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E
<br /> Je me suis fait la remarque que beaucoup d'autres jeux demandent de la réflexion, les candidats doivent répondre à des questions et faire preuve de vivacité ou de lucidité pour :<br /> 1) atteindre la finale<br /> 2) la gagner<br /> Et dans ce type de jeu, les sommes gagnées sont 10 fois plus petites que dans Deal or No Deal par exemple. Pourquoi un jeu où on peut être con comme ses pieds nous offre bien plus d'argent ? Ce<br /> concept m'échappe.<br /> Mais en tout cas je suis tout à fait d'accord avec ce que tu dis pour le principe même du "deal" qui par nature veut dire : "t'as pas réussi à faire mieux".<br /> A l'époque où j'écoutais Skyrock j'avais déjà été surpris par les écarts de gains entre les différentes stations de radio. Sur Skyrock on ne demandait rien, il fallait avoir de la chance. Sur<br /> France Inter il y a le célèbre "Jeu des milles euros" où il faut être mille fois plus intelligent qu'un auditeur de Skyrock pour gagner mille fois moins que lui.<br /> D'une manière générale ce qui ressort de tout cela c'est que plus le jeu demande de capacité intellectuelle, moins le candidat gagne. A l'exception de "Qui veut gagner des millions ?".<br /> <br /> Merci pour ton commentaire!<br /> <br /> <br />